Aumônier de la communauté catholique francophone de Hong Kong, le père Rémy Kurowski (s.a.c.) est au cœur de la crise du coronavirus. Cet épisode, estime-t-il, pourrait avoir de lourdes conséquences pastorales si l’on n’y prend garde. Mais il est aussi et surtout l’occasion de vivifier la vertu d’espérance.
Quelle est la situation sanitaire à Hong Kong aujourd’hui ?
Il y a quelques jours encore, nous pensions que la situation allait progressivement s’améliorer. Mais de nouveaux cas viennent d’être identifiés en provenance de foyers déjà connus. Par ailleurs, l’aggravation de la situation en Europe est une vraie préoccupation. Par conséquent, il est peu probable que les mesures sanitaires se relâchent avant un certain temps.
Quelles sont les conséquences pour la communauté catholique ?
L’impact le plus important, c’est bien sûr l’interdiction de dire la messe en public dans les églises. En revanche, il est toujours possible d’aller y prier, d’adorer le Saint Sacrement qui y est exposé plus longtemps que d’habitude ou de suivre les chemins de croix. Il est fondamental que les chrétiens n’en oublient pas le chemin !
Cette crise a-t-elle suscité des ferveurs nouvelles ?
A vrai dire, il est difficile de l’affirmer. La communauté francophone, par exemple, souffre de sa dislocation. Les uns ont pu repartir en France à temps et les autres sont confinés dans leurs appartements. On leur propose différentes façons de soutenir leur foi, mais chacun réagit à sa manière, compte-tenu de contraintes nouvelles comme le télétravail ou la présence des enfants à la maison.
Quelles sont les propositions spécifiques qui sont offertes ?
Chaque jeudi, chacun est invité à réciter l’angelus et à prier le chapelet pour les victimes, à la place de la messe hebdomadaire qui se tenait dans le quartier des affaires. Le vendredi, je propose des méditations sur le chemin de croix en vidéo. Chacun est invité à participer à domicile à des opérations « bol de riz » et à donner l’argent ainsi économisé aux familles hong-kongaises locales qui connaissent pour certaines de grandes difficultés matérielles avec le chômage technique qui explose.
Pas d’angélisme donc : il est difficile à ce stade de parler de « fruits » de la crise ?
Non, pas d’angélisme. Ce que nous vivons est vraiment dur. Certes, nous observons de beaux moments de solidarité, mais on voit aussi beaucoup de peur qui surgit du tréfond de l’âme. L’autre, le prochain, devient un danger potentiel. Tout ceci nous révèle que la nature humaine est aux abois en de telles circonstances. C’est aussi très instructif. Et du point de vue pastoral, nous allons voir si l’absence de messe révèle un manque ou pas du tout… Il est encore trop tôt pour se faire une idée précise. Mais il n’est pas impossible que le virus révèle le faible enracinement des catholiques occidentaux, eux aussi perméables à l’individualisme.
Quel est votre point de vue sur la communion spirituelle ?
A court terme, on peut bien sûr l’envisager, mais elle reste un pis-aller technique. Il ne faut surtout pas penser qu’elle peut suppléer à long terme la communion eucharistique. Nous nous réclamons d’une religion de l’incarnation, qui exige de nous réunir et de communier au corps du Christ. Ce débat risque de nous amener sur une pente dangereuse et non-chrétienne au terme de laquelle l’eucharistie pourrait être considérée comme facultative. Si l’on n’y prend pas garde, du point de vue pastoral, les jeunes générations, particulièrement déracinées, pourraient s’y laisser entraîner rapidement…
Face aux virus, les églises doivent-elles être confinées ou au contraire plus ouvertes que jamais ?
La prière est essentielle comme vient de nous le rappeler le pape François. Mais ce serait commettre une grave erreur si, pour des raisons de fidélité à la tradition et aux dévotions populaires, on en venait à ne pas tenir compte de ce que nous apprennent les découvertes scientifiques sur la propagation des virus et la prophylaxie. A Hong Kong, nous pouvons voir certains occidentaux se pavaner sans masque dans le rues, terrorisant les habitants locaux encore traumatisés par la crise du SRAS de 2003. C’est irresponsable. C’est donc sur une ligne de crête sur laquelle il nous faut marcher : l’indispensable réponse sanitaire ne doit pas empêcher de s’interroger profondément sur notre rapport à la vertu de l’espérance et sur l’enracinement de notre foi.