Pas de solidarité sans communion
Nous sommes confrontés à une situation sans précédent. Nous sommes obligés de faire face à des urgences que nous n’aurions pas imaginées il y a encore quelques semaines. Réunir la famille, retrouver la paix intérieure, aider les autres victimes directes ou indirectes de l’épidémie. Plus que jamais, nous avons besoin de solidarité humaine ordinaire, quotidienne comme expression de notre bien commun qu’est notre vie que nous partageons dans le cercle immédiat avec ceux qui s’occupent de nous. Ce bien commun qu’est la vie, nous pouvons le considérer sur deux plans. Celui de notre humanité partagée, et tous les humanistes de bonne aloi s’y reconnaîtront. Mais, nous en tant que catholiques, nous avons aussi à considérer ce bien commun qu’est la vie en termes, non seulement de solidarité, mais aussi en termes de communion.
La solidarité nous unit dans l’effort commun consenti pour des causes que nous jugeons bonnes. Celle qui est générée par l’épidémie en fait partie. Nous, les catholiques, nous avons à vivre cette solidarité au nom de ce que nous considérons comme source ultime de la vie que nous désignons en ce Dieu d’amour qui désire nous réunir tous autour de lui. C’est alors que nous parlons de la communion avec Dieu et entre nous. Et la solidarité y est totalement assumée, car Dieu se réjouit de ce qui fait grandir chacun d’entre nous et toute la création.
De fait, en tant que chrétiens nous savons qu’il n’y a pas de solidarité sans communion. Mais il n’y a pas non plus de communion sans communauté. Or la communauté est actuellement dans l’incapacité à se rendre visible par le rassemblement dans les mêmes endroits, comme nous avions l’habitude de nous y rendre partout où nous nous trouvions.
Être privé de la communion en communauté rassemblée pour l’immense majorité de chrétiens (comme pour tout autres croyants) constitue un fait sans précédent dans l’histoire du christianisme. Alors que l’épidémie qui en est la raison est à son tour un phénomène sans précédent dans l’histoire de l’humanité, car aux dimensions absolument planétaires. Ceci peut être seulement rapproché avec des événements planétaires similaires qui se sont produits dans la préhistoire. Quelques renseignements nous parviennent via les scientifiques au sujets de ces cataclysmes mondiaux dans l’histoire de la terre. Il suffit d’évoquer par exemple ce fameux météorite tombé sur le continent américain en créant le Golfe du Mexique. En comparaison avec le désastre causé par le météorite en question, l’épidémie en cours est moins spectaculaire. Mais probablement seulement en apparence.
Les effets directs causés par la minuscule protéine sont (tout proportions gardées) peu de chose en comparaison avec tous les effets en dominos sur la vie personnelle, familiale, collective… Et ceci à tous niveaux, allant de la fragilisation inquiétante de la stabilité d’équilibre en couple, passant par la perte de travail et donc des revenus… Ici, il n’est pas de mon propos de les énumérer tous, en revanche, en les évoquant je voudrais seulement partager sur l’espérance qui peut jaillir dans toutes sortes de situations non désirées, mais assumées comme faisant partie de la vie.
Pour nous les chrétiens catholiques, le sens profond de communion en fait partie, en constitue même la base, le fondement, le socle sur lequel peuvent apparaître d’autres signes d’espérer. Car il n’y a pas de fatalité pour celui qui croit à l’espérance et la met en pratique dans un esprit de communion en communauté et se montre solidaire avec tous. Il est disponible pour accomplir les gestes concrets qui s’imposent à sa conscience souvent activée par sa sensibilité.
Sa sensibilité est alors plongée dans une vertu d’espérance, laquelle assume toutes les sensibilités. Pas seulement celles qui expriment la générosité, mais aussi celles qui expriment une délicate attention à l’égard de nous mêmes pour être dans une vie saine, équilibrée. C’est dire que le chrétien est connecté à Dieu et par conséquent, il est disponible à ce qui se présente comme besoin d’agir pour le bien particulier parce que pour le bien de tous et inversement, pour le bien de tous parce que pour le bien particulier. Et il le fait parce que Dieu lui ouvre les yeux et lui demande d’agir, c’est une mission qu’il accueille car reçue d’un autre plus grand que lui.
Actuellement, la communion, nous la vivons de façon seulement spirituelle. Et en savent le manque ceux qui la désirent profondément, comme par exemple ceux qui sont à l’hôpital et ou en quarantaine, et qui en sont privés depuis tant de temps. D’en être privé, c’est une expérience qu’en tant que prêtre je ne connais pas personnellement. Je ne la connais pas, parce que je peux célébrer la messe, certes seul, mais tout de même, la période de restrictions actuelles à l’égard des rassemblements, ne change pas grand chose dans mon cas personnel puisque depuis que je suis à Hong Kong généralement je célèbre la messe en semaine tout seul dans la chapelle de l’évêché.
Nous sommes donc séparés, au risque d’être isolés, nous sommes désarticulés par rapport à notre communauté de vie familiale et notre communauté de l’aumônerie ou paroissiale, tout ceci au risque d’être disloqués (surtout quel poids sur les couples et leur fragilisation qui en résulte). Et actuellement à défaut de communion eucharistique, nous ne pouvons donc que vivre la communion spirituelle. Nous cherchons avec les moyens du bord à être connectés, entre nous et avec toute l’Eglise catholique représentée par le Pape. Cette référence au Pape devient de plus en plus importante, comme référence universelle, tout comme pour la gestion de l’épidémie sur le plan international avec l’OMS. Il y aurait des précisions à apporter à l’occasion.
De par la nature d’expatriation, la situation des Français et francophones catholiques est soumise à des contraintes préexistantes à cette dislocation et à cette séparation liées à l’épidémie qu’est déjà le déracinement du vivier naturel, dans ses aspects culturel, religieux et social. C’est important de le souligner et de le prendre en compte dans l’analyse que nous en faisons.
Comment alors dans ce contexte vivre la Semaine Sainte et les fêtes de Pâques, qui sont les points culminants de l’année liturgique et les temps fondateurs de la vie de foi chrétienne? Dans ce processus est engagée toute la communauté pour s’en nourrir ensemble afin de renforcer notre foi et donner sens à toutes nos actions de solidarité.
Pour nous, les chrétiens, il n’y a pas de solidarité sans communion, et il n’y a pas de communion sans communauté locale aussi petite soit-elle, mais identifiée dans ses membres qui se connaissent, qui se connectent comme dans cette période plus intensément les uns avec les autres et le pasteur que je suis. Et je remercie ceux qui l’ont déjà fait pour partager ensemble en communauté ainsi représentée physiquement et je remercie ceux à qui je m’adresse individuellement. Mais, hélas, je ne peux pas le faire avec chacun séparément ce dont je m’excuse d’avance. Petite certes, mais, vécue symboliquement par le contact via les moyens de communication à distance, cette communion est la base pour l’action, car ainsi connectés en entreprenant individuellement ce qu’il convient, finalement nous agissons tous ensemble. L’union fait la force, devise reprise maintes fois sous diverses formes emblématiques pour soutenir divers programmes socio-idéologiques, s’applique particulièrement aux chrétiens.
Le dimanche de Rameaux que nous fêtons aujourd’hui est une grande fête d’espérance qui n’édulcore rien de l’âpreté de la vie. C’était le cas pour Jésus comme c’est ainsi, toutes proportions gardées, pour chacun d’entre nous. Bonne fête donc et vive l’espérance, vive la communion, vive la solidarité.
P. Rémy KUROWSKI, aumônier de la CCFHK
Hong Kong le 4 avril 2020